Made in China

 - "T'as une sacrée empreinte carbone toi !"
Merde, épinglé par la brigade du CO2. À l'entame d'une discussion, avouez que ça sent le gaz, le ton blaguant de l'interlocuteur masquant difficilement le tacle glissé à hauteur de genoux.
Que faire ? Balayer d'un revers de main la réflexion, mettant toute personne face à ses propres contradictions ? 


Médiocre sytème d'auto-défense, se réfugier derrière la faiblesse collective pour justifier ses propres défaillances ne vole pas haut.  Feindre l'ignorance s'apparente à du foutage de gueule tant il est difficile d'échapper aux chiffres: 23 Kg de bagage en soute, 7kg de bagage en cabine et 1,8 tonnes de CO2 pour un voyage en Chine, puisque c'est de ça dont je finirai bien par parler. 

Que faire? Se lancer dans une joute verbale avec son interlocuteur? Aucune chance de sortir victorieux, le gars est passionné et de toute façon la cause est indéfendable. A se perdre dans les limbes des lectures et discussions sur le sujet, je me raccroche désespérément à la réflexion d'Arnaud Petit dans "Parois de Légende" que vous avez la possibilité de lire en suivant ce lien

Le sujet est vaste et la liste des arguments / contre-arguments infinie. Comme Cypher dans "Matrix" j'en viens à me demander "pourquoi, pourquoi j'ai pas pris la pilule bleu ?" Bienheureux sont les simples d'esprit, qu'il doit être bon d'être climatosceptique ! Dommage, je n'ai pas les qualités requises. Au lieu de ça, le poids de la culpabilité, 1,8t au bas mot je le rappelle, m'accompagne désormais dans mes envies de voyages telle une écharde (de carbone) dans le pied. Vous comprenez donc ma susceptibilité sur le sujet !

Je suis bien au fait de l'impact de mes déplacements, ayant depuis de nombreuses années dépassé le quota Jancovisiste de 4 vols dans une vie. Je peux le dire, j'ai une vrai empreinte de cabrón. Pourtant, je continue. La "case déplacement"  déborde à cause de l'avion, alors que d'autres sont presque vides. Pas de compensation possible, les déplacements aux U.S.A et au Maroc de mon bilan carbone 2024 me font passer juste au dessus de l'empreinte carbone "moyenne" d'un Français lui aussi "moyen". 

Slot métaphorique: Faire son chemin entre conscience écologique et soif de découverte
C'est serré mais ça passe encore.

Un ecopoint dans la gueule.

Terminé les destinations lointaines, les dépaysements culturels, les grandes aventures ? Aucune incompatibilité me direz-vous, les démonstrations vertueuses de combinaisons vélo-ski, train-bus-vélo-grimpe, vélo-himalayisme ou bateau-dawnwallisme n'ont désormais plus rien d'anecdotiques et font la une des feeds ou des magasines. D'ailleurs cela porte un nom: l'ecopoint

On en voyait déjà de toutes les couleurs avec le "redpoint" définissant la méthode utilisée pour l'enchainement d'une voie après travail, le "pinkpoint" définissant l'enchainement d'une voie avec les  coinceurs pré-placés, le "greenpoint" pour une voie d'escalade équipée mais grimpée uniquement sur coinceurs, nous voilà maintenant avec un nouveau style d'enchainement, définissant le style de déplacement pour se rendre au pied de la voie. On se rapproche tranquillement du triathlon.

Repenser la mobilité dans l'activité, pourquoi pas, mais cela reste lourd en contraintes et nécessite quelques pré-recquis non négligeables: le temps, les capacités techniques, financières et physiques. Pour un petit week-end à la falaise d'à coté, effectivement cela me semble à la porté de beaucoup d'entre nous. Pour ce qui est des voyages, des vacances, des destinations lointaines, ça ne sera pas pour tout le monde. En attendant, la démarche est belle, presque héroïque... respect. 

Autre piste: Repenser son intérêt pour l'activité. Pourquoi pas questionner le bien-fondé de ses motivations: Qu'y a t'il ailleurs que nous n'avons pas chez nous ? De l'herbe, plus verte. Ah si seulement ces étrangers venant en France pour faire de l'escalade, de l'alpinisme où du ski savaient que chez eux c'est mieux, ça économiserait du CO2 et ça nous en ferait plus pour aller chez eux! Ca me rappelle une vidéo de promotion pour les Ecrins tournée avec Mathieu Meynadier, expliquant à quelques secondes d'intervalles ses projets réguliers d'expéditions Pakistanaises et le fait qu'il n'ait jamais trouvé mieux ailleurs que ce qui existe dans les Ecrins. Dans l'excellence et la polyvalence qu'il représente il reste un Homme avec toutes ses contradictions, ouf. 

Le gros problème de tout ça, en ce qui me concerne, c'est que je suis un gros colibri paresseux. J'ai  beaucoup plus de facilité à déployer mon énergie, à entreprendre, lorsque je suis sous contrainte. Hors, le réchauffement climatique, je vois bien les montagnes qui s'écroulent, les glaciers qui fondent et les canicules mais globalement je peux pas dire que ça impact beaucoup mon quotidien pour l'instant. Pire, si je regarde le développement de la société dans les domaines économiques, technologiques et politiques, je vois bien qu'on continue de creuser. C'est peu encourageant. Ca me semble un vrai travail personnel que d'arriver à nourrir son bien-être, son bonheur, par la satisfaction de l'acte écologique. Comment devenir fière de sa goutte d'eau dans l'océan ?

Bref, laissons courir et mettons l'écopoint de coté, de toute façon il faudra bien y venir, ecopoint final. 

Escalade à Liming

J'en viens au fait. Le village de Liming se situe dans le Yunnan, une province du sud de la Chine. C'est la porte d'entrée du Parc National du Laojushan. Quelle idée d'aller là-bas ? Je ne sais plus trop... Les envies d'Asie de Caroline j'imagine, avec lesquelles j'essaie de faire coïncider des spots d'escalade. Dans les lectures sur Liming, les comparaisons avec Indian Creek sont courantes. Si cela à attiré mon attention,  je m'abstiendrai cependant du  parallèle blasphématoire avec Indian Christ. De la végétation, des grands murs, des vallées profondes... Il y a du familier tout en étant très différent de ce qu'on connait. Le gouvernement Chinois ayant récemment élargie ses règles de séjour sans visa, c'est pour un mois complet que nous prenons nos quartiers au Faraway Inn, guesthouse "dans son jus" et camp de base historique lié au développement de l'escalade dans la vallée. 

A ce sujet, Mike Dobie semble l'initiateur de la dynamique d'ouverture des voies et d'ouverture au monde de Liming. C'est à partir de 2010 que le petit village devient l'épicentre trad. L'exploration des différentes parois et vallées donne naissance à de nombreuses voies, grandes voies et voie sportives s'organisants sur différents secteurs que nous avons eu le privilège d'écumer lors de ce mois de Mars. La période est dite idéale pour y grimper, ce que nous pouvons confirmer même si la dernière semaine, copieusement arrosée, nous à contraint à revoir un peu nos derniers objectifs. Caro dirait surement "pas assez chaud", à quoi je répondrais qu'il vaut mieux une veste en plus, qu'un tee-shirt en moins. Surtout en offwidth.

Alors, à quoi s'attendre de l'escalade à Liming ?  Un peu à tout, à l'image de la gastronomie chinoise, on ne sait pas vraiment sur quoi on va tomber. A quelle sauce va t'on être mangés ? Ca à l'air épicé cette affaire... C'est salé ou sucré ? Dans une même longueur, on n'est jamais à l'abris d'un petit passage taquin en offwidth puis de ne pas pouvoir rentrer ses doigts dans une fissure trop fine. Qu'on nem ou n'aime pas, il faut faire avec et terminer le plat.

J'arrête avec la métaphore culinaire, c'est du réchauffé. Arpenter ces fissures de grès me procure toujours autant de satisfaction, la pureté de l'itinéraire conjugué à son apparente simplicité et à l'absence d'équipement reste pour moi ce qui se fait de plus beau sur le rocher. Seule ombre chinoise au tableau, certaines voies manquent un peu de passage dès que l'on grimpe en dehors des classiques, ça peut être l'aventure. En terme de fréquentation, pas un pékin lors de notre arrivée, puis l'endroit c'est remplis au fil de notre séjour. Nous rencontrons Chinois, Australiens, Américains, Norvégiens, Coréens, Polonais apportant une joyeuse touche cosmopolite dans ce très traditionnel petit village. 

C'était bien la Chine ?

Jeter l'ancre en Chine était une excellente idée mais l'escalade n'est pas ce qui marquera ce voyage, honnêtement il y a mieux ailleurs dans le registre fissure. Je ne vous dirais pas où, c'est un secret. Ce que je retient de la Chine, c'est ce que j'en ai vue. J'ai bien conscience de ne pas avoir découvert le pays, ce voyage ne m'offre qu'un aperçu du quotidien d'un petit village du Yunnan. Avoir "fait" un pays comme je l'entend parfois me paraît bien prétentieux, et cela est d'autant plus vrai dans un pays aussi vaste, aussi peuplé, aux nombreux groupes ethniques. L'avion était suffisamment gros pour qu'en plus de mes 30Kg de bagages et de mes 1,8t de CO2, je vienne avec beaucoup d'apriori sur les Chinois. D'ailleurs je pensais ne jamais mettre les pieds dans ce pays. Prendre le temps d'observer les habitants du village, essayer d'échanger et de se faire comprendre, se renseigner sur le fonctionnement de ce que l'on voit, sur une culture si différente a suffit à casser mes préjugés et constitue à mon sens l'intérêt d'un tel voyage. 

Du pays de la contrefaçon, j'ai le sentiment d'avoir échangé avec des gens authentiques. D'un pays sale, j'ai été bluffé par la propreté du centre de Lijang (ville de taille moyenne, 1 250 000 hab.). D'un pays industrialisé, voué au travail et mené à la baguette, j'ai vue des commerçants faire la sieste en attendant les clients, une usine travaillant 8h par jour 5/7j, des grimpeurs chinois en vacances plusieurs mois, voyageant à l'étranger pour pratiquer leur passion. D'un peuple mangeur de chien j'ai vu des toutous aussi chouchoutés que les nôtres. D'un peuple bridé, j'ai vu des jeunes connectés, habillés comme n'importe quel ado de chez nous. 

Alors ?

Alors difficile de conclure, je ferai simple, voyager pour escalader où l'escalade prétexte à voyager ? Les bonnes résolutions écologiques vont venir, l'idée fait son chemin, y'a pas le feux.


"La montagne, miroir grossissant de nos valeurs individuelles et collectives, nous amène à regarder en face notre implacable réalité de petits truands s'aut-amnistiant de nos paradoxes; au mieux par méconnaissance ou légèreté inconsciente, au pire par cynisme et égoïsme assumés.

Hervé Villard "Les bons, les brutes et les petits truands" - Nouvelles Mythologies Alpines