Maroc à vélo
Marrakech à vélo, c'est l'Afrique qui ouvre ses bras. Salam Haleykoum !
Si un code de la route existe, les marocains s'accordent quelques largesses sur son application. Circuler dans la ville demande chance et insouciance, les trajectoires de chacun étant aléatoires et imprévisibles. Une seule philosophie : Ca passe, inch'Allah.
Instinct de survie aidant, Marrakech city laisse place à sa banlieue après quelques kilomètres. Insalubrité, déchets en tout genre, des hectares de gravats qui s'empilent, le goudron qui s'arrête et enfin l'échappée vers les plaines fertiles : Les champs d'oliviers et les fleurs multicolores vitalisent le paysage sur fond de sommets enneigés.
Déjà les premiers reliefs de l'Atlas se profilent, nous remontons une vallée aux innombrables bassins de décantation. Ici l'homme vie du sel présent dans le sol et porté par la rivière.
Bientôt les collines se transforment en montagne et les quelques côtes déjà bien fatigantes avec nos vélos chargés deviennent des cols. L'effort continu nous élève, les paysages agricoles cèdent peu à peu la place à ceux de la montagne. Marhba !
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Tizi n' Telouet, le col des caravanes. Notre caravane à nous n'est pas très grosse mais nos montures sont chargés. Trente kilomètres et 1800m nous séparent de la bascule sur les plateaux semi arides de la région de Ouarzazate, je sais que pour mon père cela sera une grosse journée. Notre rythme est bon, doucement mais sûrement nous remontons la longue vallée alpine et rurale aujourd'hui en grand travaux. Bientôt, le paysage changera, la vie des habitants également. Une route goudronnée apportera la facilité et la rapidité de déplacement.
Pour l' instant, rien de facile ni de rapide, mais on avance. Le minéral est désormais partout et seules les parcelles exploitées apportent un carré de vie dans cet environnement figé.
A mi-chemin environ, un ouvrier nous alerte : c'est fermé ! Pas possible de passer.
Malgré un français bien meilleur que mon arabe, la discussion n'est pas aisée. Il y aurait 20km jusqu'à Telouet à parcourir sans pouvoir rouler à vélo.
Le doute s'installe.
Après un peu de discussion, la route s'arrête finalement à 8km du col. Encore un peu de discussion, il semblerait finalement que la piste aille jusqu'en haut mais qu'ensuite seuls les ânes peuvent passer.
Ça se confirme : il faut toujours négocier au Maroc.
Bien. Si les ânes peuvent passer, 2 têtes de mule devraient passer également. Nous gagnons le col vers 17h, les travaux gargantuesques rendant la piste très confortable et c'est bien un chemin muletier qui nous attend de l'autre côté pour rejoindre les hauts plateaux de la région de Ouarzazate.
Le couché de soleil nous accompagne et notre ville étape est en vue. Bien que pénible, la descente n'est finalement pas trop longue et nous sommes parfaitement à l'heure pour célébrer cette rude étape par une excellente tajine. Bssaha !
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Cap a l'est ! Nous longeons l'Atlas avec comme objectif la vallée du M'goun au nord de Ouarzazate. Le dénivelé, toujours un peu présent se fait beaucoup moins impressionnant, moins long .
Nous cheminons grâce à des pistes d'excellentes qualités sur de grands plateaux et traversons comme des montagnes russes les différents oueds descendant de l'Atlas.
Nous évoluons autour de 1800m d'altitude avec à perte de vue, des collines, des montagnes, des canyons qui dans un grand couscous géologique offre une palette de couleurs fantastiques : rouges, noirs, jaune, orange, blanc. Le ciel est bleu Maroc, l'air est sec et l'ombre est la grande absente de nos journées longeant le massif.
L'eau est partout et nulle part à la fois. Le terrain est aride mais façonné par les différents cours d'eau, nous remontons des lits de rivières asséchées, traversons des kilomètres sans aucune végétation puis comme un mirage, un oasis et son village. Canaux d'irrigation, parcelles cultivées, végétation dense dans le lit et les berges de l'oued, la vie.
Puis de nouveau plus rien.
Ainsi c'est organisée la vie au pied de l'Atlas, ainsi s'organise notre déplacement à vélo, à la recherche du ravitaillement en eau. A l'heure où les ombres s'allongent nous mettons nos derniers coups de pédales et trouvons un endroit calme où monter la tente pour une nuit comme à la kasbah.
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Nous continuons notre traversée, toujours à l'est. Dans les villages, les enfants toujours curieux et prompts à nous apostropher depuis le début de notre voyage change quelque peu d'attitude. Les "Bonjour Monsieur" studieusement appris à l'école élémentaire et récités avec gaieté se transforment désormais en demandes insistantes pour une pièce, une gourde, un stylo. Je me fait même piquer ma casquette accrochée sur mon vélo en roulant, les coquins ! Rien que pour la performance, je dit chapeau.
Ce soir, avec Ahmoud nous discutons culture, mode de vie, économie et politique. Ses études de tourisme effectuée à l'université de Ouarzazate lui ont permis d'acquérir un français parfait. Le gîte familial dans lequel nous faisons étape leur permet de vivre à l'année. Il a une vision posée et réfléchie de son pays, des problématiques économiques, de l'éducation. Pas de grands discours, de généralités ou d'idées pré-conçus. Il me parle de ce qu'il connaît, de son village, de l'eau, de la terre et de son entourage.
Je suis surpris de voir autant d'enfants dans les villages, même les plus reculés. "Oui, les parents restent, la famille vit ensemble" me dit Ahmoud, "Il faut s'occuper des plus vieux, la vie c'est un cycle ".
Voyager, non pour voir autre chose mais pour penser différemment. Choukran.
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Nous terminons notre traversée vers l'est par des plateaux désertiques sur fond de montagne saupoudrés de neige, les 4071m de l'Ighil M'Goun commencent doucement à rentrer dans l'hiver. Seuls quelques abris troglodytes pour les troupeaux de chèvres et moutons accompagnés de leurs bergers témoignent de la présence de l'homme sur ces terrains que je peux imaginer bien inhospitaliés si une tempête venait à se lever. Pour nous tout roule, piste rapide et léger vent de dos, nous serons à l'heure pour le whisky bédouin, Yalla !
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Bien que d'une longueur modeste de vingt kilomètres, nous prenons 2 jours pour remonter les gorges de l' Assif M'Goun. D'abord parce qu'il est nécessaire de pousser le vélo une grande partie de l'itinéraire, et aussi parce que passer une nuit dans cette portion encaissée de la vallée nous encourage à prendre notre temps.
J'apprécie particulièrement ce contraste entre les étendues désertiques à l'horizon lointain qui nous entouraient jusqu'à présent et l'environnement vertical et sinueux dans lequel nous évoluons maintenant. Sans compter que désormais l'eau nous guide. Poussant nos vélos à contre-courant, nous suscitons étonnement et admiration des locaux et des touristes croisés. Qu'il est bon d'être un héro.
Ali est un berbère. Il connaît autant de mots en français que moi en arabe soit moins qu'un chouia mais plus que walou, ce qui fait pas bezzaf ! Gardien des gorges, 100 chèvres dans les montagnes, une mademoiselle, 3 enfants et un âne, bref un modèle de réussite berbère. Il n'aura pas fallu longtemps pour qu'Ali mange avec nous, nous laisse les clefs du gîte normalement fermé et l'accès à la cuisine. Rencontres éphémères attachantes, merci mon shrab.
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Ce sont avec les pieds froids et mouillés que nous terminons les gorges de l'Assif M'Goune, pas mécontents de retrouver des pistes afin de pouvoir remonter sur nos vélos. Les gorges sont finies, mais nous n'en avons pas encore terminé avec cette vallée maintenant fréquemment habitée et cultivée, que nous devons encore remonter sur une quinzaine de kilomètres jusqu'à notre porte de sortie, le Tizi n' Ait Imi.
Point culminant de notre itinéraire marocain à 2905m, l'ascension de ce col nous offre une vue imprenable sur le versant Nord du massif du M'goun, contrasté entre pentes désertiques et neiges éclatantes des sommets. Nous prenons notre temps, la pente et l'altitude nous permettant de profiter de ces paysages désertiques et enneigés.
De l'autre côté du col, "la vallée des gens heureux" nous tend les bras, c'est le moment de la récompense du dénivelé gagné ce jour: 17 kilomètres sans mettre de coup de pédale. C'est le kiff !
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Après une journée de repos dans la vallée d'Aït Bougenez " La vallée des gens heureux" nous reprenons les pistes. L'azimut est désormais franchement tourné sur Marrakech, de retour sur le versant méditerranéen de l'Atlas. L'itinéraire que nous empruntons n'est pas vraiment un circuit touristique, nous laissant entrevoir le Maroc rural brut et crû. Les villages traversés sont des décharges à ciel ouvert, les habitants vivent dans les détritus. La vue de plusieurs enfants aux membres amputés me serre le cœur.
Contraste, la tenue traditionnelle rouge et blanche des petites écolières est d'une grande beauté, les écoles propres et colorées des lieux de joies et de promesses. De partout, des enfants et adolescents qui grandissent entre deux mondes que tout oppose, se déplaçant sur des ânes, smartphone à la main.
Les points de ravitaillements ne sont pas fréquents ici, épuisant nos quelques réserves au bivouac nous sommes bons pour une matinée de pédalage l'estomac presque vide avant de trouver une petite ville. Il est 13h et quelques minutes, de concert les mosquées s'accordent en résonances à l'appel du muezzin.
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Les paysages changent et deviennent presque familiers, "on dirait le sud". Nous traversons les oliveraies, les températures remontent et se font sentir dans les derniers reliefs de notre séjour. Bien que modestes, ils nous permettent tout de même de prendre la hauteur nécessaire pour contempler les grandes plaines du Haouz, grandes terres arables, piémont méditerranéen du Haut-Atlas. Descendant de ces derniers moments d'altitude, nous y faisons notre dernier bivouac, récompensés par un magnifique couché de soleil. Machi mochkil...
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Ce matin, nous contournons la retenue du barrage Moulay Youssef pour la dernière ligne droite. De l'Atlas il ne reste que quelques collines, se faisant de plus en plus petites, toujours dans ce mélange arido-cultivé. Nous retrouvons la ville d'Aït Ourir, premier palier d'acclimatation au milieu urbain. Les odeurs, les bruits, l'agitation, le bordel... La vie.
Marrakech est maintenant en vue, sillonnant à travers sa banlieue les derniers kilomètres, mon esprit vagabonde déja sur l'accompli, sur ce voyage père et fils, sur notre monde d'inégalités. Un voyage comme le disait le 113 "dans ce qu'on appelle le tiers-monde". Un pays pourtant plus riche et développé que bien d'autres pays d'Afrique mais qui déjà fait naître un petit sentiment de culpabilité. Celui d'être né au bon endroit. Le mektoub.
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Je suis fier de mon père, 67 ans, premier sur le vélo tous les matins de ce voyage et qui m'a fait confiance le long de cet itinéraire de 625km et 11700 mètres de dénivelé.
Je suis content d'avoir découvert cette partie du Maroc grâce au vélo, par un itinéraire curieux et varié.
Les étendues désertiques ont ce point commun avec la montagne: elles m'apaisent. J'y trouve un fort sentiment de connexion, une sorte de plénitude. C'est un environnement propice aux réflexions et à l'introspection, un terreau aride de la paix intérieure. Maroc, bislama.
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